dimanche 14 octobre 2012

Le livre

A la place des écouteurs sur les oreilles, musique à fond, ou au lieu d'écouter la radio et d'entendre des mots dictés par des voix aussi belles que celle de Pascale Clark, je tente, dans la position assise et accoudée à mon bureau, d'écouter le silence des pages, un livre placé sur chacune de mes oreilles. Au fond, je triche un peu. Il y a un disque de Franz Ferdinand qui tourne et je le perçois en sourdine à présent concentrée sur le son jusqu'ici silencieux de mes deux bouquins. Je voudrais vous décrire ce que je perçois mais je ne peux pas. Cet instant est à moi.

Plongée dans une espèce de méditation, je songe à la façon dont j'aime le déguster. Dans mon lit, pour me préparer à rejoindre Morphée, en somme. Sinon dans mon bain pour un réveil en douceur et pendant quinze minutes ou trois heures. Dans le canapé avec un bon café ou un verre de vin sur le côté et facile à attraper, juste tendre la main. Adossée à l'accoudoir, jambes étendues les pieds posés sur un coussin. Je peux y rester des heures et des heures, finir par m'endormir avec le livre à bout de doigts et reprendre ma lecture dès le réveil. Mais peu importe quand je le lis et dans quelles conditions, il produit toujours sur moi l'effet désiré sinon je passe au suivant. Il y en a tant et de tous les formats. Le livre est un antidépresseur naturel, une pilule d'ecstasy sans descente déprimante même si à certains je suis tant attachée que j'ai du mal à imaginer la fin arriver. Je voudrais en lire au moins un nouveau chapitre chaque jour, l'épouser, ne jamais connaitre le dernier mot de cette histoire.

Hormis Franz Ferdinand que je perçois en sourdine et le craquement de mes doigts maintenant avec fermeté un livre que quelqu'un m'a donné (je ne cite pas le titre car je déteste cet ouvrage) sur le tympan gauche et sur l'autre le dictionnaire des synonymes, j'ai beau tendre l'oreille je n'entends rien sauf parfois un souffle; vient-il de l'océan Indien ou du fin fond des montagnes hargneuses? Je n'en sais rien.

Dès lors je décide d'y goûter et de lécher une de leurs pages de papier; mais rien ne réveille mes papilles. Je vais à présent l'explorer en entier et le toucher avec mes dix doigts, le caresser. Et enfin à ce moment j'entends en tournant ses pages une caresse audible mystérieusement rassurante.

Mon dictionnaire sent la poussière. Ça me fait juste penser que je ne l'ai pas ouvert depuis un moment. Sa couverture un peu pliée, ses coins recroquevillés et son film plastic un peu ondulé me rappellent cependant que je l'ai bien lu et même emporté dans la salle de bain; sans doute une période de grande passion entre lui et moi. Mais elle n'est pas éteinte juste en veilleuse. Quand soudain je m'aperçois qu'en plus de le laisser prendre la poussière je l'ai rangé à côté de l'analogique! De toute façon, la jalousie, il ne la connait que par définition. Cependant je vais le changer de place. Il va peut-être apprécier de se trouver auprès du livre de citations et dans mon salon, où il pourra capturer, à sa façon, d'autres odeurs et d'autres sons.

Et si la musique et le bruit façonnaient comme nos esprits son corps de papier recouvert de carton plastifié? 
Observer. Cela peut sembler con de regarder l'évolution d'une éventuelle dégradation d'un livre qui serait due aux sons. Et ça l'est sans aucun doute mais cet acte peut mener au calme. Il s'agirait d'une méditation en plusieurs étapes et à alterner avec une méthode similaire du genre fixer une flamme de bougie et juste pour laisser le temps au son de mener involontairement son opération de métamorphose ou de destruction (c'est selon) sur le papier. Mieux vaut tenter l'expérience avec un recueil de poésies ou tout autre ouvrage de jeux de mots ou de textes succincts se dégustant comme des mignardises car à chaque fois, l'ouvrant au hasard, on sera tenté de lire. Excellent aussi le livre de dictons qui peut vous offrir tel un horoscope journalier le chemin à suivre pour la journée. Parcourant une page de ce dernier au hasard, j'arrête mon doigt en même temps que se tait soudain Franz Ferdinand; et je lis: 

La parole est d'argent mais le silence est d'or.